top of page
Photo du rédacteur: Céline WagnerCéline Wagner

Dernière mise à jour : 9 mars 2020

Les arrestations de Julian Assange, Ola Bini, Chelsea Manning, l'exil d'Edward Snowden, le suicide d'Aaron Swartz, et l'écrasement diplomatique que subissent leurs pairs que je ne connais pas, ont inspiré cette histoire aux tonalités quelque peu universelles. Je la partage ici, comme une petite pause dans l'imaginaire avant de reprendre le fil de l'actualité...





























Scénario et dessins Céline Wagner

A suivre...


Dernière mise à jour : 19 mai 2019

« Je crois que les Hommes font quelque chose quand ils parlent, ils font quelque chose quand ils parlent exactement de la même façon qu’ils font quelques chose quand ils fabriquent un objet ; le discours ça se fabrique, le discours une fois fabriqué ça existe, une fois que ça existe ça subsiste, une fois que ça subsiste ça fonctionne, et une fois que ça fonctionne ça se transforme, ça a des effets, ect…

C’est cette consistance interne du discours, du discours en quelque sorte comme objet fabriqué,

c’est cela que je voudrais arriver à restituer. »

Michel Foucault, France Culture, 2 mai 1969


Dessin Céline Wagner

De ces discours, il nous appartient d’en identifier les bénéficiaires et les desseins. Qui sommes nous ? Pourquoi nous mobilisons-nous pour une cause plutôt qu’une autre quand toutes ont un caractère d’urgence ? Est-il humain d’avoir à choisir entre la survie de l’humanité et ses conditions d’existence ? Sommes-nous seulement libres de faire ce choix ?

Nous sommes au lendemain du discours d’Emmanuel Macron, le 26 avril 2019, suite au grand débat national. Les thèmes abordés et les réponses aux questions confirment le traçage des périphéries vers lesquelles nous sommes repoussés pour y débattre de sujets sociétaux. Nous sommes rigoureusement écartés des véritables enjeux : la remise en cause de la domination des marchés financiers et le règne sans partage du capitalisme. Ce point central, hors duquel aucun changement n’est envisageable, nous est interdit par les rouages perfectionnés d’un discours issu de l’association des grandes fortunes et des états. Ce discours n’a cessé de se peaufiner au fil du temps, il est aujourd’hui universel et parlé dans le monde entier. Assange vient de prouver que si l’on s’introduit dans les secrets de sa fabrication, les puissances démocratiques auront recours, de la même manière que les états répressifs, à la force ; bien qu’ils feignent d'en dénoncer les abus et arrestations arbitraires. Les contradictions n’altèrent pas l’efficacité du discours. Il n’y a rien à attendre d’un tel système.


En 1969 Michel Foucault publiait l’Archéologie du Savoir (Gallimard). Il démontrait qu’il n’y a pas de domaines de connaissance dans le savoir mais des discours fabriqués, en interaction avec des disciplines de différentes natures, qui accouchent par leur interférences, de nouvelles sciences humaines, économiques et politiques, donnant lieu à leurs tours à de nouvelles formes de discours...


En 2006 Julian Assange fonde Wikileaks, le fruit de vingt ans d’observations et d’expérimentations sur l’art du secret amené à son plus haut niveau, grâce au développement du cryptage. Assange est un mathématicien assorti d’un brillant crypteur qui s’est emparé du secret comme sujet d’étude scientifique. Très vite, il fait le rapport entre les moyens mis en œuvre pour garder certaines informations cachées, à l’abri de la population, et l’importance qu’elles représentent pour qui les détient : Les états, les lobbies et les armées. En plus de parfaire les moyens de dissimuler ces informations et communications, il faut également les détruire de sorte qu’en dehors des protagonistes personne ne puisse avoir connaissance de leur existence. C'est un tour de magie, une page blanche est remise à sa place, vierge de tout ce qu’elle a transmis, rien n’a été déchiré ou brûlé, la destruction des informations est invisible.


Le rapport entre le secret et la domination des grandes puissances sur les individus obsède Assange qui ne se contente pas d’avoir compris sa forme nouvelle, mais qui en a aussi trouvé la clé, l’a expérimentée à ses risques et périls, et la détient aujourd’hui.


Michel Foucault et Julian Assange se répondent à plus de trente ans d’intervalle par delà l’explosion de la technologie.


Le philosophe, dans Histoire de la folie à l’âge classique (Gallimard), démontre comment, à la fin du moyen âge, les fortunes privées et l’église se sont mêlées de la vie de la cité par le financement de la remise en état des léproseries laissées à l’abandon. En échange d’un droit d’ingérence, les fortunes cléricales et privées ont rendu possible la réhabilitation de ses lieux, leur aménagement et leur fonctionnement tout en influençant l'orientation de leur nouvel usage : les léproseries sont demeurées des lieux d’internements, non plus à destination des lépreux, la maladie ayant disparu, mais des fous. La tranquillité préservée de l’espace public dévolu aux commerces et à la consommation en fut la principale motivation, avant toutes préoccupations sanitaires et humanitaires apparues beaucoup plus tard…


Foucault développe une réflexion sans égale sur les lieux de surveillance. L’évoquant pour ses élèves, Gilles Deleuze parlera d’architectures d’ombres et de lumière ; selon les discours scientifiques et politiques d’une époque, les valeurs sociales, le surveillant se montre tantôt à travers les barreaux d’une cage, tantôt se cache derrière la lucarne amovible d’une porte blindée... Le bâtiment conditionne-t-il le mode de surveillance ? Ou bien une politique moderne d’observation et de contrôle détermine-t-elle les plans des architectes ?


De nos jours, différents courants de pensée préoccupés par le domaine social défendent l’ouverture des lieux d’internement. Des voix s’élèvent contre la pratique de l’incarcération pour les délinquants ou l’enfermement des malades mentaux. Les objectifs de soins et de guérison sont toujours à l’ordre du jour, mais il est établi que l’isolement n’améliore pas l’état d’un être anxieux ou désespéré. Aussi, des solutions comme le bracelet électronique pour les premiers et le traitement chimique pour les seconds — ou l’association des deux en cas de force majeur — laissent espérer qu’un jour nous pourrons circuler librement avec nos différences, munis d’un droit d’expression farouchement défendu… Ajouté à cela que ces trente dernières années l’apparition d’internet nous a donné le sentiment d’accéder à une liberté nouvelle, de pouvoir dialoguer avec le monde entier dans tous les domaines du savoir et obtenir en un temps record les informations les plus précieuses...

Jusqu’à ce que les lanceurs d’alerte nous démontrent qu’il n’en était rien.


à suivre...


« I believe men make something when they speak. They make something when they speak in the exact same way as when make a material object; speech is something that is produced. Once produced, it exists, it persists. Once it persists, it acts, once it acts, it changes, it has effects, etc. This inner consistency of speech, speech as a manufactured object – this is what I am attempting to express. »

Michel Foucault, France Culture, May 2nd 1969


Dessin Céline Wagner

When things are spoken, it is up to us to identify whom they serve and with what purpose. Who are we? Why do we stand up for one cause rather than another when so many are so urgent? Is it human to have to choose between the survival of mankind and mankind’s condition? Are we even free to make the choice?

Yesterday, on April 26th 2019, we heard Emmanuel Macron’s speech closing the National Debate. The themes of the debate and the answers provided confirm the outline of the fringes into which we are driven when we attempt to debate on society. We are being dismissed from the true stakes, barred from questioning the domination of the financial markets and the sole rule of capitalism. This central point, outside of which real change is inconceivable, is made inaccessible by the highly finished mechanisms of speech patterns born of the association between the great fortunes and the States. These speech patterns have been refined over time; today, they are universal, a language spoken the world over. Assange has just proved that if you break into the secrets of its manufacture, the democratic powers will turn to force, like the repressive rules – even as they pretend to speak out against abuses and arbitrary detentions. Contradictions do not alter the efficiency of this speech. Within such a system, we can hope for nothing.

In 1969, Michel Foucault published The Archaeology of Knowledge (L’Archéologie du Savoir, Gallimard) in which he showed that there were no areas of knowledge but only manufactured speech patterns, interacting with disciplines of various natures, bringing forth, in the places where they met and overlapped, new human, economic, political sciences, from which, in their turn, arose new speech patterns...

In 2006, Julian Assange founded WikiLeaks, the result of 20 years of observation and experimentation on the art of secrecy taken to its highest level ever by the development of encryption. Assange is a mathematician, and also an brilliant encryptor, who seized upon secrecy as a subject of scientific study. He quickly found the link between the means used to hide certain informations from the public eye, and their importance in the eyes of those who held them: States, lobbies, armies. Beside perfecting the means to hide these informations and communications, it was also necessary that they should be destroyed in a way that guaranteed that aside from the protagonists, no one could be aware of their existence. As in a magic trick, a blank page was put in place, virgin of everything it had transmitted. Nothing had been torn or burned, the destruction of data was invisible.

The relationship between secrecy and the domination of individuals by great powers is an obsession for Assange. Not only has he understood the new shape of this domination, he has also found the key, has experimented it to his own risk, and still holds it today.

Michel Foucault and Julian Assange answer each other over a gap of over thirty years, beyond the explosion of technology.

In his History of Madness in the Classical Age (Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard), the philosopher shows how, at the end of the Middle Ages, the private fortunes and the Church began to influence public life by financing the restoration of the abandoned leper colonies. In exchange for a right to meddle, the clerical and private fortunes undertook the rehabilitation of these places, their organization and operation, while influencing the way they were put to a new use: the leper colonies remained places of confinement, no longer for lepers as the disease had died out, but for the insane. The safeguarding of peace and quiet in the public space devoted to trade and consumption was the main motivation, rather than health or humanitarian issues, which surfaced much later…

Foucault has given us an unrivaled demonstration on places of confinement. In his lectures, Gilles Deleuze was later to speak of architectures of shadow and of light; according to the scientific and political formulation of the times, or the social values, the watcher shows himself through the bars of a cage, or hides behind the opaque window set in an armored door. Does the building determine the mode of surveillance? Or does a modern policy of observation and control determine the architects’ plans?

Nowadays, various schools of thought in the social domain argue for the opening of places of confinement. Voices are speaking out against the practice of detention for delinquents and confinement for the mentally ill. The goals of caring and healing are still current, but it is established that isolation does not improve the condition of a person suffering from anxiety or depression. Solutions such as electronic bracelets for the former and medication for the latter – or even both in extreme cases – allow us to hope that one day, we will be able to walk around freely, different are we are, empowered with a vehemently-defended right to express ourselves… Moreover, for thirty years now, the advent of the Internet has given us an impression of new freedom, the ability to speak with the entire world in every area of knowledge and to obtain instantly the most precious informations...


Until the whistle-blowers showed us that this was utterly false.


To be continued.


bottom of page