« De temps en temps, le psychiatre, Jean-François Rabain, vient les voir. Quand elle lui demande s’il n’existe pas un médicament qui peut la motiver à travailler, sa réponse est brève : non. Pour cela il faut que vous comptiez sur vous même. Mais elle ne peut compter sur elle-même, tout comme elle ne peut venir en aide à Hans. Que faire alors ? Rester tranquille, repenser aux bons vieux jours de bonheur et se curer le nez. Le petit doigt de la main droite en est déjà tout noir. Qu’en dirait Freud, de ces curages de nez ? Cela a-t-il une signification sexuelle ? »
Unica Zürn - Vacances à Maison Blanche
Le 07 / 09 / 2016
En cherchant des idées de couverture pour La Trahison du Réel, je réalise que la schizophrénie alimente toute une production populaire de films d’horreur basée sur le cliché du dédoublement de la personnalité… La pensée schizophrénique n’est pas dédoublée, mais morcelée...
Un autre cliché revient au fil des textes que je parcours sur Unica Zürn, celui du jeu de miroir entre l’artiste et son modèle. Comme si le lien relevait d'une forme d'abstraction. Le complice, n'est pas l’autre dans lequel on se regarde, à la recherche inconsciemment d'une image de soi, mais celui qui entend ce qu'on montre à l'état de chaos, et qui rassemble pour nous-même. Bellmer et Zürn n’ont pas laissé entre eux la place à un reflet mais bien à des expérimentations, dans le temps, qui n’évinçaient pas la solitude et la mort. Réalités qui les hantaient tous deux, chacun invitant à l'autre de s'y consacrer pleinement.
Le 08 / 09 / 2016
Tout acte artistique est un acte politique empreint de cette faculté rare, et jamais acquise, de trouver un espace de liberté où il est possible d’établir une distance entre soi et le monde. Continuer de désigner Zürn comme une malade mentale ou une femme sous domination, c’est lui retirer ce choix, avec tout ce qu’il comporte de contradiction et d’injustice. Qui mieux qu’elle, en créant une œuvre littéraire empreinte de son expérience de la schizophrénie, a touché du doigt cette distance ? Zürn a choisi les surréalistes, elle a choisi Bellmer. L’homme qui l’a accompagnée dans une déchéance annoncée et qui a contribué à faire connaître son œuvre. La question est moins de savoir si elle vivait dans l’ombre d’un artiste célèbre que le statut réducteur qu’elle occupe aujourd’hui encore dans l’art et la psychiatrie.
« Il est dans la nature des choses qu’un explorateur ne puisse pas savoir ce qu’il est en train d’explorer, avant qu’il ne l’ait exploré. Il ne dispose ni du Guide Michelin, ni d’un quelconque dépliant pour touristes qui lui dise quelle église visiter ou dans quel hôtel loger. Tout ce qu’il a à sa disposition, c’est un folklore ambigu, transmis de bouche à oreille par ceux qui ont pris le même chemin. L’homme de science et l’artiste se laissent guider, eux, par des niveaux plus profonds de l’esprit, se laissent en quelque sorte conduire vers des pensées et des expériences adéquates aux problèmes qu’ils se posent ; mais, chez eux aussi, cette opération de guidage ouvre des chemins longtemps avant qu’ils ne soient vraiment conscients de leurs buts. Comment tout cela se passe, nul ne le sait. »
Grégory Bateson - Vers une écologie de l’esprit
Le 15/ 09 / 2016
Art brut ou peindre et se désolidariser de l’art.
La notion d'art brut est une marginalité inventée par l'art officiel en panne d'imagination, qui a besoin de sous-catégories pour maintenir sa domination sur les courants de pensées et la modernité.
L’internement, l’absence de formation artistique, l’indifférence à être reconnu, peuvent-ils être le lien entre des artistes ?
Le 16 / 09 / 2016
Les œuvres des créateurs désignés comme bruts ont des références indiscutables, empruntées aux différents domaines de l'art, à un quelconque savoir-faire, à la nature... Les techniques apprises dans les écoles sont destinées à fabriquer des professionnels, non des artistes. L’art, ce terme devenu prétentieux et synonyme d'élitisme, n’est-il pas un leurre ? Est-il possible d’être dénué de connaissances artistiques ? De n’avoir jamais vu une église, un dessin d’enfant, un tableau, une broderie… Qui cherche à exprimer sa sensibilité, même isolé, même sans instruction, se retrouve, malgré lui, sur le chemin de l'art archaïque.
Le 17 / 09 / 2016
En parcourant la collection de Lausanne, je remarque, et cela n’a pas échappé aux connaisseurs, l’étrange phénomène de symétrie présent d’une œuvre à l’autre dans les productions dites brutes, et le souci esthétique de Jean Dubuffet.
Unica Zürn se démarque très clairement de cette ligne de travail.
Plutôt que de chercher une forme d’expression inspirée par un ordre quelconque, Unica tente de reconstruire quelque chose qui n’a pas de nom.
Une création, un ordre arraché au chaos, doit-il nécessairement relever de l’inconscient ?
Le 18 / 09 / 2016
Il me semble plus intéressant de mettre en rapport une œuvre d’Adolf Wölfli avec une peinture romane, ou encore une œuvre de Séraphine de Senlis avec un vitrail gothique ; non pour ausculter l’œuvre d’un fou mais, au contraire, assister à l’intégration des mécanismes de la composition, sur les plans de la forme et de la couleur, par quelqu'un n'ayant jamais mis les pieds dans une école d'art.
Le 19 / 09 / 2016
Zürn ne connaissait pas seulement les techniques du dessin apprises de Bellmer (dessin automatique, décalcomanie…) Elle possédait ses propres références, acquises au sein d’une famille d’intellectuels. La maison familiale était emplie d’objets rapportés du monde entier par son père photographe/reporter, elle écrivait, des scénarios et des récits... En quoi aurait-elle eu besoin de connaître les enseignements académiques, la construction dramatique, la perspective, pour pratiquer une activité qui nécessitait de laisser libre cours à son imagination ?
Le 22 / 09 / 2016
Nous sommes tellement habitués à monnayer les œuvres à des prix fous, qu’il nous paraît fou de créer sans autre ambition que de donner un sens au jour qui vient. Ce sont pourtant les mêmes qui se proclamaient artistes et qui défendaient un art désintéressé qui ont inventer l’art brut ; plutôt que d’étudier le geste créatif et pictural, ces ingénieurs ont préféré rendre hommage aux fous pour déranger l’art institutionnel et se fabriquer une image d'artistes subversifs. Eux qui, mieux que les autres, connaissaient les rouages de ce système enclin à récupérer tout ce qui gravite autour de lui. Décréter des artistes, Artistes bruts, c’est créer de toute pièce une marginalité, anéantir chacun devant un art officiel qui est entré en résistance pour retarder sa déconfiture. Et que tout artiste officiel prétend décapiter en participant à sa prospérité.
Le 25 / 09 / 2016
L’artiste brut ne peut qu'être désigné de l’extérieur.
Pourquoi informer le public de la condition psychique d’un artiste ?
La question de savoir ce qu’est l’art concerne uniquement ceux qui en font le commerce. Ceux qui l'exercent n'ont pas besoin de cette question. Les artistes, en alimentant ce débat, nourrissent le système qui précipite leur mort.
Le 30 / 09 / 2016
A mesure que je progresse, je rédige des notes, croyant saisir certains passages de mes lectures jusqu'à présent restés obscurs... Je me demande parfois si l’idée derrière une phrase est à la hauteur de sa complexité...
Devant un tel déploiement de la langue, je ne sais plus vraiment ce que je peux apporter. Et je me demande si cela ne participe pas à l’autorité du langage ; on reste sans voix devant ce qui est expliqué savamment, même si c’est incompréhensible.
Le surréalisme est une création d’élites.
Quelques termes employés par André Breton : Réalité absolue, automatismes psychiques purs, fonctionnement réel de la raison... m'effrayent. Ils ressemblent à des incantations. Gnose ?
Le 02 / 10 / 2016
Peindre c’est trouver la transversale qui relie l’être à l’évènement.
Le 03 / 10 / 2016
L’homme Jasmin est vrai. Unica est en état d’isolement, même hors des murs de l’hôpital psychiatrique. La réalité des autres est une entrave à sa présence de ce guide spirituel. Avec l’âge, la rencontre avec l’être élu est de plus en plus associée à la mort. Comment interpréter cette fascination ? L’envie de mettre un terme à toute souffrance, l’attente du merveilleux ; quel merveilleux pourrait bien apparaître en mourant ?
Zürn est mystique ; je ne le suis pas, comment franchir cet abîme pour avoir accès à sa pensée ?
Unica ne veut pas guérir, mais se défaire des dernières chaînes qui la retiennent au monde réel et l’empêchent d’atteindre le bout de sa folie.
Le 04 / 10 2016
Secret véritable, liberté absolue, authentique promesse... Zürn ne spécule pas sur la mort, sa fascination réside dans son mystère.
Le 05 / 10 / 2016
Mourir et la mort. Vouloir mourir ou vouloir la mort ? Quelqu’un m’a dit un jour « J’ai peur de mourir mais je n’est pas peur de la mort».
Mourir, s’évader de la prison matérielle, de ses fidélités, de ses responsabilités. Se montrer capable de n’être impressionnée par rien.
La mort, étendue pleine de promesses. La plaine infinie et mystérieuse à perte de vue. L’espace mêlé au temps, sans ligne d’horizon.
Après l’avoir tant espérée et tant redoutée, après avoir retardé le moment de se lancer, Unica a fini par faire le pas. Quel a été ce pas ? S’est-elle levée de sa chaise, d’un bond ? A-t-elle tout simplement franchit le bord de la fenêtre comme on franchit le seuil d’une porte ? S’est-elle approchée lentement, hypnotisée par le vide, cet espace abstrait donnant sur le ciel ?
Gilles Deleuze a mis fin à ses jours dans les mêmes conditions.
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