Faire des romans graphiques est ma façon d'apprendre à ne tirer aucune conclusion dans le travail...
Le 24 / 07 / 2017
Quand je travaillais sur Tatsumi Hijikata, j’avais appris qu’il se jouait au théâtre du Glode de Bordeaux, un grand classique du butô contemporain, Utt, le spectacle de Carlotta Ikeda et de son chorégraphe Ko Murobushi, crée en 1981. N’étant plus en mesure de danser, Carlotta avait transmis ce spectacle à une jeune disciple, Maï Ishiwata, qui s’apprêtait à en donner la première le 10 octobre 2014.
Le 1er septembre je réservais ma place, impatiente de découvrir une danse imprégnée, bien qu’émancipée, de Tatsumi Hijikata, héros de Frapper le sol (édit° Actes Sud) et créateur du butô.
Je prévoyais d’emporter avec moi quelques dessins, peut-être aurais-je la chance de croiser la grande dame et de lui montrer mes ébauches...
Carlotta Ikeda est décédée le 24 septembre, une quinzaine de jour avant la première. L’annonce de la nouvelle sur le site du théâtre témoignait de la sidération de l’équipe des organisateurs et de la compagnie Ariadone.
Je pensais à la jeune danseuse qui s'apprêtait à danser pour la première fois en public, devant la femme qui lui avait transmis l’une de ses plus belles créations... Ce qui devait la porter sur scène venait de tomber. A présent, où allait-elle puiser l'impulsion qui devait la mettre en mouvement ?
Le jour venu, avant de prendre la route, j’ai posé contre le mur de l’atelier mon carton à dessin contenant les planches de Frapper le Sol, avec le sentiment, une fois de plus, de comprendre trop tard ce que j'étais en train de découvrir : La danse, le mouvement extrait des profondeurs, en soi, et non guidé par une musique ou un rythme, rien qui ne vienne du dehors...
Le 17 octobre j’étais dans le public, au premier rang. La salle était petite et les bancs inconfortables, je me suis assise à terre en tailleur. Je touchais le sol que la jeune danseuse s'apprêtait à fouler. Elle apparaîtrait bientôt. Dans quelle direction ? De quel coin sombre sa silhouette allait-elle s'extraire avec une infinie lenteur ?
Dans une obscurité et un silence absolu, j’ai soudain senti glisser à quelques mètres de moi, ses pas, et aperçu sa silhouette blanche rompre le noir, juste éclairée par une poussière scintillante... Avec d’imperceptibles mouvements elle progressait, pieds nus, les mains gantées de laine, une robe de bure crayeuse brouillait les lignes de son corps. Le public et la danseuse étaient en deuil et les craintes de l’artiste étaient palpables à chacun de ses pas. Puis, au cours de ce temps étiré, hors d'une réalité de de plus en plus lointaine, nous avons assisté à la progression des forces qui s'installaient en elle ; elle oublia notre présence, prit ses repères dans le noir et évolua dans cet espace, sans contours. L’émotion du public était telle que nos respirations s'étaient mises au diapason de son souffle.
« Et du Minuit demeure la présence en la vision d’une chambre du temps où le mystérieux ameublement arrête un vague frémissement de pensée... »
« Certainement subsiste une présence de Minuit. L’heure n’a pas disparu par un miroir, ne s’est pas enfouie en tentures, évoquant un ameublement par sa vacante sonorité. »
Stéphane Mallarmé, Igitur
« L’accomplissement n’est qu’un moment insignifiant. Ce qui est fait doit d’abord être rêvé, pensé, saisi à l’avance par l’esprit, non pas dans une contemplation psychologique, mais par un mouvement véritable. »
Maurice Blanchot - L’espace littéraire.
« Pendant la nuit elle rêve d’une créature belle et dangereuse. Tout à la fois fille et serpent – aux longs cheveux. Cette créature médite la destruction du monde qui l’entoure. Alors, au cours d’une opération effectuée avec le plus grand soin, on lui ôte tout ce qui pourrait lui permettre de préparer cette destruction. On lui enlève le cerveau, le cœur, le sang et la langue. En tout premier lieu on lui enlève les yeux, mais on oublie de lui enlever les cheveux. C’est là l’erreur. Car, aveugle, exsangue et muette, la créature acquiert maintenant une telle puissance que son entourage ne peut que trouver son salut dans la fuite. Que peut bien signifier tout cela ? »
Unica Zürn - L’Homme Jasmin – 1962
« La mort ne vient pas. Ne viendra plus cette année. Dormir et manger. Agir sans élan, en passant. La merveille, elle, ne se produit pas quand on l’attend. Voilà ce que j’avais totalement oublié. Une merveille arrive quand on ne l’attend pas. » Unica Zürn - Vacances à Maison Blanche
« De nombreux auteurs ont avancé l'idée que la schizophrénie serait une maladie radicalement différente de toutes les autres formes de pensée et de comportement humain. Tout en convenant qu'elle constitue un phénomène isolable, nous pensons que mettre ainsi l'accent sur les différences qui la séparent du comportement «normal», est une démarche stérile, du même ordre que l'effrayante ségrégation physique imposée aux psychotiques. Pour notre part, nous estimons que la schizophrénie suppose certains principes généraux, qui sont importants pour toute communication, et qu'il existe donc des ressemblances substantielles entre la communication schizophrénique et la communication dite «normale» »
Extrait - Gregory Bateson - Vers une Écologie de l'esprit
« La difficulté tragique de l’entreprise, c’est que dans le monde de l’exclusion et de la séparation radicale, tout est faux et inauthentique dés qu’on s’y arrête, tout vous manque dés qu’on s’y appuie... »
L’espace Littéraire - Maurice Blanchot
Bibliographie pour La Trahison du Réel :
Vacances à Maison Blanche, derniers écrits et autres inédits, Unica Zürn, Joëlle Losfeld, 2000
L’Homme Jasmin, Unica Zürn, Gallimard 2012
Sombre Printemps, Unica Zürn, Motifs 2007
Le blanc au point rouge, Unica Zürn, Ypfilon 2011
Petite anatomie de l’image, Hans Bellmer, Allia 2016
Strindberg et Van Gogh, Swedenborg-Hölderlin, Karl Jaspers, aux éditions de Minuit 2014
L’espace Littéraire, Maurice Blanchot, Gallimard 2014
Vers Une écologie de l’esprit, Grégory Bateson, Poche 2008
Essais sur la schizophrénie et le traitement des psychoses, I L’impossible réalité, Ginette Michaud, Erès 2008
Histoire de la folie à l’âge classique, Michel Foucault, Gallimard 2017
La maison du Docteur Blanche, Laure Murat, JC Lattès 2001
L’art jusqu’à la folie, Alain Vircondelet, Rocher 2016
La folie de l’art brut, Roxana Azimi, Séguier 2014
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